Accéder au contenu principal

Annonce

Sélection

Salé - sucré...

  Bonjour, L'art culinaire est, chez nous, une affaire de famille qui se partage. Et comme nous aimons archiver les bonnes recettes, qu'elles soient simples recettes du quotidien, recettes de familles, ou repas festifs... il nous faut à chacun un livre de recettes personnalisé....  Cette année je me suis donc penchée sur la question, pour mon fils qui voulait consigner dans un carnet ses recettes préférées!! Toujours aussi difficile pour un garçon de trouver des modèles aux point de croix, pas trop.... kitch... Mais grâce aux modèles de Véronique Enginger, j'ai trouvé le modèle idéal... et après de longues heures de broderie sur un torchon, ce qui rajoute une certaine difficulté car il est très difficile de broder sur les lignes colorées du torchon, voilà le résultat: J'ai un peu modifié le modèle de base, en enlevant deux gâteux pour les remplacer par des légumes et, en changeant le titre "Mes desserts" en "Mes recettes" de façon à ce que le recueil

Broder ou marquer ? quelles différences ?

Histoire du point de croix, au fil des jours...


Broder ou marquer ? Quelles différences ? 

Dans la rubrique précédente, nous avons vu que la broderie est un art ornemental. La broderie blanche, broderie populaire, apparaît vers le XVIIlème siècle et servait à embellir le linge, la lingerie et les vêtements. Il s'agit alors de toutes sortes de techniques de points qui permettaient la réalisation  des magnifiques monogrammes ou des jours sur les draps anciens, les chemises de nuit et le linge de nos grands-mères. En broderie, le monogramme est le nom désignant les lettres des initiales brodées sur les pièces des trousseaux, des mouchoirs et des draps. Cette broderie blanche était enseignée le plus souvent par les religieuses dans les couvents, à l'école religieuse ou dans l'ouvroir (lieu de rassemblement ou les jeunes filles se retrouvaient avec les religieuses pour apprendre différents travaux d'aiguilles). Elle est également enseignée dans les pensionnats, après l'école primaire. 

Quelques exemples de monogrammes issus de ma collection personnelle de draps et chemises
Au XIIIème et XIXème siècle, il y a une différences entre broder qui fait donc référence à la broderie blanche et marquer qui correspond à l'utilisation du point de croix dont l'appellation complète est : le point de croix à points comptés ou point de marque et qui était un outil pour marquer le linge. Celui-ci servait à border l'alphabet de la lingère. On retrouve ce petit alphabet haut de sept points dès le XVIIIème siècle dans l'encyclopédie de Diderot :
Extrait de l'Encyclopédie de Diderot.
Le marquage du linge consistait à broder les initiales des noms de famille, au fil rouge avec ce point de croix à points comptés (point de marque). Il permettait aux lavandières de repérer leurs draps, torchons ou chemises, lorsqu'elles se retrouvaient au lavoir. Les pièces de linge étaient également brodées d'un numéro servant à ranger les armoires convenablement. Le point de marque servait à marquer les trousseaux avant l'apparition des marques tissées dans les années 1950. 

Initiales au point de marque trouvées sur de vieux draps ayant appartenu à mes grands-parents
et sur le poignet d'une chemise.


Exemple de marques tissées (collection personnelle).
Donc à cette époque, broder servait à embellir, marquer à identifier son linge. " La marque est une simple mesure d'ordre " Clarisse de Juranville  (Le savoir-faire et le savoir-vivre, guide pratique de la vie usuelle à l'usage des jeunes filles, p. 180).

Au delà de cette différence d'utilité, broder et marquer porte aussi le signes d'une distinction sociale. La broderie blanche est celle des familles les plus aisées. " Ces distinctions sociales s'inscrivent sur les trousseaux que l'on marque au fil rouge et que l'on brode blanc sur blanc " (Marlène Albert-Llorca, p. 114). Seules les familles les plus riches peuvent se permettre de pratiquer la broderie blanche et de donner aux jeunes filles une " bonne éducation " en les envoyant poursuivre leurs apprentissages au couvent ou au pensionnat, après l'école primaire, alors que les jeunes filles de condition plus modeste doivent travailler au champs, participer aux travaux domestiques et s'adonner aux travaux de coutures pour habiller la maisonnée. 

D'après les ethnologues, broderie blanche et point de marque s'inscrivent également dans une dimension morale pour l'une et physiologique pour l'autre. Morale car la broderie est l'art de lutter contre l'oisiveté " mère de tous les vices ". Les ouvrages de dames sont le gardien des valeurs morales ! Lorsque les jeunes filles sont courbées sur leur ouvrage, elles ne pensent pas à " battifoler "! 

" Du sang à la lettre : le fil rouge de l'alphabet " (Lucie Desideri, p. 677). Pour l'ethnologue Yvonne Verdier le point de marque enseigné à l'école élémentaire à l'âge ou les petites filles deviennent physiologiquement des femmes peut-être vu comme une sorte de rite de passage de l'enfance vers l'adolescence. Ces petites écolières réalisant leur marquette (je consacrerai une petite rubrique prochainement sur la marquette ), apprennent le point de marque, apprennent à marquer. " Marquer, c'est à la fois broder son canevas, puis son trousseau, et avoir ses règles " (Marlène Albert-Llorca, p. 114). Elles apprennent à devenir femme.

Pour terminer cet article, un petit mot sur Yvonne Verdier (1941-1989).  Il n'est pas un livre, pas un article que je n'ai consulté, pour retracer l'histoire du point de croix, qui ne cite ses travaux, tant elle a contribué à offrir un regard nouveau sur les activités des femmes dans la société du début du XXème siècle, et notamment sur la place de l'apprentissage de la couture, broderie et point de marque dans la vie de la femme et dans son évolution physiologique. Ses recherches ethnologiques menées à partir d'une enquête réalisée auprès de femmes de Minot en Bourgogne, l'ont conduite à faire le lien entre trois femmes : la couturière, la cuisinière et la femme-qui-aide et trois fonctions : faire les jeunes filles et la mariée, faire les noces, faire les bébés et les morts, pour trois périodes de la vie : la puberté, la fécondité et la ménopause, à travers trois techniques : coudre, cuisiner, et laver, dans la société du début du XXème siècle et qu'elle livre dans son ouvrage " Façons de dire, façons de faire ". Ecrite en 1979, cette publication littéraire a reçu le prix Broquette-Gonin de l'Académie française en 1980.


Nous voilà assez éloigné de notre broderie au point de croix contemporain !
Il paraît sous cet angle assez peu artistique !
Mais, il aura pourtant d'autres usages et sera aussi une broderie ornementale...


A suivre....

Les sources qui m'ont permis d'écrire ces quelques lignes : 

  • "La broderie au point de croix",  Nathalie Bresson, 2004 ;
  • "Abécédaires au Point de croix De le Toile à la Page",  Corinne Chambras-Gangloff, 2009, ed. Arte Libris.
  • " Le savoir-faire et le savoir-vivre, guide pratique de la vie usuelle à l'usage des jeunes filles", Clarisse de Juranville, 1879, sur http://gallica.bnf.fr
  • " Les fils de la Vierge. Broderie et dentelle dans l'éducation des jeunes filles ", Marlène Albert-llorca, Revue française d'ethnologie , L'homme, 1995, tome 35, n° 133, sur http://www.persee.fr
  • "Alphabets initiatiques", Lucie Desideri, Ethnologie française, vol. 33, n° 4, 2003, p. 673-682 sur https://www.cairn.info.
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Monogramme
  • http://www.academie-francaise.fr/yvonne-verdier

Commentaires